La Mère Brazier – L’Express

Mathieu Viannay reprend la maison et c’est tout Lyon qui replonge avec délice dans les marmites de son histoire…
Une petite dame modeste, plus Gerland que Tête-d’Or, apprêtée comme un sou neuf, pas un cheveu qui dépasse du chignon. Attablé en face d’elle, son fils. Avec l’accent des canuts, elle lui dit une chose comme: « prends ce qui te plaît, mon chéri, de toute façon il n’y avait plus de place dans la tirelire, il fallait bien la casser… » Alors, il y va. Coupe de champagne, pâté en croûte de volaille de Bresse et foie gras, fricassée de ris de veau et homard, plateau de fromages, soufflé Grand Marnier et granité à l’orange, café, mignardises. Avec des mmm! à tous les coups de fourchette… Dans quelques décennies, le fiston se souviendra de ses 30 ans avec maman. Chez la Mère Brazier.

Mathieu Viannay fait à nouveau rêver les Lyonnais avec un nom qu’ils s’apprêtaient à oublier. C’est vrai, Jacotte n’était pas Eugénie. Pendant trente ans, la petite-fille a maintenu sous assistance respiratoire les faitouts de sa grand-mère. Le coeur battait mou. A petits bouillons s’évaporait la légende de celle qui, en 1924, fit rimer la première Lugdunum avec gastronomes, forma Paul Bocuse et Alain Chapel, nourrit Edouard Herriot, collectionna les étoiles Michelin.

La matrone n’aurait pas renié ce nouveau fils adoptif. Pas tout à fait lyonnais, certes, maigre comme un ascète à jeun, mais suffisamment cuirassé derrière son macaron Michelin décroché avenue Foch et son col tricolore de meilleur ouvrier de France pour avoir su exhumer le génie Brazier.

Le lieu, d’abord. Viannay a chargé le décorateur Alain Vavro de retrouver sous le maquillage du temps les traits originels de la maison -un plafond à la française, de splendides fresques en faïences versicolores qui roupillaient sous d’épaisses boiseries…- pour mieux les surligner de touches contemporaines bien dosées. Mêmes dispositions aux fourneaux. Des recettes historiques, soit, mais jamais appliquées au pied de la lettre. Le fameux artichaut au foie gras prend désormais la forme d’un petit violet taillé en cornet, encore croquant, dans lequel vient se lover une bille de foie gras, ainsi que d’un fond d’artichaut camus en vinaigrette surmonté d’un lobe de foie gras poêlé. Une réussite. La volaille de Bresse demi-deuil, autre fleuron de l’institution, est truffée sous peau, pochée, servie en deux fois, selon les coutumes en vigueur, mais accompagnée d’une digressive sauce suprême. Autre réussite.

A coups de Saint-Jacques au citron confit et poivre vert, de saint-pierre à la plancha et de variations givrées et meringuées autour du citron, le chef prend encore la tangente. Mais à pas feutrés, comme pour mieux relever ce noble défi: rallumer le mythe sans se brûler les ailes.

12, rue Royale, Lyon (Ier), 04-78-23-17-20. Menus: 35 euros (déjeuner), 55, 75 et 95 euros. A la carte: 90 euros. Ouvert de midi à 13 h 30 et de 19 h 45 à 21 h 30. Fermé le week-end.